La libération de Saizerais en 1944 [Pascal Beau]

Le départ des allemands.

« Ce récit a été composé à l’aide de différents comptes-rendus et discours d’historiens locaux. Il est surtout composé de témoignages d’habitants de Saizerais qui ont su avec fidélité et mémoire retracer les événements douloureux de leur jeunesse. Cependant, à l’évocation de leur histoire, il en ressortait toujours quelque chose de positif, on pouvait lire dans leur regard la flamme de l’espoir, la flamme de la vie. ». Pascal BEAU.

Après avoir débarqué en Normandie le 6 juin 44 et délivré Paris le 25 août 44, les troupes alliées arrivent très vite en Lorraine. En effet le jeudi 31 août on entend le canon dans la direction de Toul et les troupes arrivent à Flirey.

Le vendredi 1er septembre des camions militaires allemands passent toute la journée se repliant vers l’Allemagne. Les ouvriers allemands de la ferme des quatre-vents les accompagnent en emmenant tout le bétail et le matériel qu’ils peuvent traîner, ils abandonnent un tracteur à la sortie de Saizerais.

Le 2 septembre au soir une colonne motorisée s’arrête à l’entrée du village de Rosières en Haye. Sachant les américains très proches, plusieurs habitants sortent leurs drapeaux tricolores. Ils les remballent très vite car il s’agissait en réalité d’une colonne blindée de soldats allemands refluant vers l’Allemagne. Menacés d’être fusillés ce jour là, les habitants de Rosières en Haye, reçoivent plus timidement les armées américaines le lendemain 3 septembre vers 10h.

Poursuivant leur progression vers l’est, les soldats américains arrivent au carrefour des quatre-vents. A gauche du carrefour de la nationale 411 et de la départementale 907 quand on vient de Saizerais se trouve une grosse ferme, ancien relais de poste, elle se compose de 4 bâtiments, des prisonniers polonais y cultivent pommes de terre et autres légumes pour le compte des allemands. Quelques habitants de Saizerais plutôt téméraires se risquaient à la rapine, se souvient Louis Scharff. Un grand camp pour prisonniers a même commencé a être construit en face de la route, côté Villers en Haye, il ne sera jamais achevé.

Une partie des troupes américaines se dirige vers Dieulouard, la prise de la ville sera difficile, elle n’interviendra que le 16 septembre après d’âpres combats ; l’autre partie des troupes américaines devant progresser vers Saizerais.

Au village, lors de leur retraite, les allemands veulent faire sauter le petit pont se trouvant dans le fond de la Côte des Prés, cependant afin d’assurer leurs derniers allers et retours ils demandent à monsieur Paul Doyotte de leur confectionner des planches épaisses à l’aide d’une scie électrique pour pouvoir passer. Celui-ci refuse prétextant une panne électrique, les allemands lui demandent alors, sous la menace de leurs armes d’effectuer un sciage manuel. La discussion s’engage et s’envenime très vite. Le père Hemmer qui parlait allemand couramment intervient alors et calma les ardeurs de chacun. Les allemands exigent également que les entrées du village vers Rosières soit barricadées avec des chariots et des machines agricoles.

Les américains sont là !

Le dimanche 3 septembre 1944, une troupe d’éclaireurs composée de 3 automitrailleuses avance prudemment vers Saizerais, ce sont les véhicules de tête du 318éme régiment d’infanterie 1er et 2ème bataillon du colonel Mac Hugh, dépendant de la 3éme armée US du Général Georges Patton.

La fin de l’été est proche les récoltes de pommes de terre et la cueillette des mirabelles sont en cours, des gerbes et des trésaux sont encore dans les champs. Le convoi entre dans le village vers 11 heures 30, quelques habitants les applaudissent au passage. Il stoppe au carrefour de la mairie en quête d’information sur les positions de repli allemandes.

Un paroissien Edmond Henry s’en allant à l’office du dimanche les côtoie un instant, il accélère le pas, entre à l’église, à la surprise générale remonte la grande allée et va en informer le curé Adam.

Au même moment un autre paroissien Jean Laffleur venant de saint Georges ou il habite arrive devant l’église et voit du côté saint Amand au niveau du monument aux morts une activité inhabituelle, il descend à mi-côte et voit devant la mairie, stationnés en plein milieu du carrefour 3 Jeeps automitrailleuses, à cette vue, son sang ne fait qu’un tour il remonte en courant vers l’église, pousse les portes et crie à la cantonade  » Les américains sont là « .

 » L’église, remplie en ce dimanche, se vide en un seul mouvement  » se souvient Carmen Marchal qui faisait partie de la chorale. Tous les paroissiens se précipitent vers la sortie et courent vers la mairie acclamer les libérateurs. Le pauvre curé Adam restant seul à l’église avec ses enfants de cœur parmi lesquels on comptait Jean Beau et Lucien Jolibois.

Le père Songeur, maréchal ferrant (qui habitait la mairie actuelle et avait sa forge à côté) a déjà sorti la Mirabelle, (mirabelle que les américains ont appelée par la suite  » Gazoline « ). Des bouquets de fleurs sont offerts aux soldats et des victuailles échangées contre du chewing-gum et des Camel.Dans la liesse générale, vers midi, les enfants de cœur font sonner les cloches en grande volée pour annoncer la libération du village et ils accrochent un drapeau tricolore sur l’église.

Saizerais entre deux feux.

Cependant l’avancée alliée est stoppée car les positions allemandes se cantonnent dans les bois de Marbache et Belleville, à l’Avant Garde à Pompey et sur Liverdun.

En ce dimanche après midi euphorique, les habitants de Saizerais se proposent alors d’aller ouvrir la route dans le bois de Marbache, entravée de troncs d’arbres abattus et de trous creusés par les allemands qui voulaient freiner l’avancée de leurs poursuivants.

 » Armés de pelles, brouettes, haches, accompagnés par des chevaux de labour, grands et petits s’affairent  » se souvient Renè Matraja. Quand tout à coup un guetteur crie  » Barrez-vous, revoilà les boches « . S’en est suivi une débandade, chacun rentrant chez soi en mesurant le risque encouru ce jour là.

Les américains décident alors de se replier vers Rosières et Tremblecourt afin de regrouper leurs troupes et lancer une attaque conséquente sur les communes qui bordent la Moselle, Liverdun, Pompey, Marbache, Belleville et Dieulouard. Cette initiative laisse Saizerais et ses habitants entre deux feux, aussi, certains, abandonnant leurs habitations, se replient quelques jours vers Rosières, Rogéville ou plus loin encore par crainte de représailles, d’autres habitants refusent de partir et préfèrent rester sur place.On se regroupe dans les caves et la vie s’organise.

Effectivement dans la nuit du 3 au 4 septembre des allemands reviennent au village, des ouvriers partant travailler aux aciéries de Pompey à vélo en ont été témoins. Ils ont par la suite été interrogé le curé Adam sur la cause de la sonnerie des cloches effectuées la veille. Sans se départir le curé leur a répondu que la sonnerie annonçait tout simplement la fin de la messe. Brave curé, une toute autre réponse aurait pu être lourde de conséquences pour les habitations et leurs occupants. Les villages de Martincourt et Villey saint Etienne n’ont pas eu la même chance face à la barbarie de certains nazis.

Les combats aux abords du village.

Le 4 septembre les allemands confortent leurs positions dans les bois de Marbache et Belleville, ils installent même une pièce d’artillerie à 100 mètres de Saizerais.  » Ils reviennent de temps à autre au village demander qu’on leur apporte de l’eau dans une citerne dans les fonds de Belleville pour faire la cuisine, ou chercher des volailles, ou encore demander des patates à la mère Davrainville. Ils viennent aussi dans les parcs aux abords du village traire les vaches du père Crabouillet  » se souvient Marc Herb. Bernard Mathiot et quelques autres sortent du village et s’avancent imprudemment pour les guetter, ils remontent vite en rampant sous le feu des mitraillettes.

4 septembre toujours, nouvelle avancée d’une patrouille américaine, une jeep est détruite par les allemands au lieu dit la côte des près, à l’entrée Est de Saizerais, nouveau repli des soldats américains.

Le mardi 5 septembre vers 5 heures du matin dans un intense bruit de mitrailleuses, une compagnie américaine, depuis la côte des prés lance une attaque vers Marbache, elle échoue de nouveau, Marbache ne sera libéré que le 9 septembre. En même temps les corps-francs américains abordent la forêt de l’Avant Garde en passant par le sud de Saizerais. Ils sont épaulés dans leur avancée par l’artillerie américaine. Le tir des artilleurs est réglé depuis le haut du clocher de Saizerais. Les allemands s’en aperçoivent, ils ripostent au canon. L’église reçoit une salve d’obus. La toiture et la pierre sont endommagés, les vitraux sont détruits. Les obus pleuvent également sur les maisons. Les toitures et façades sont touchées (certaines en portent encore les stigmates.  » Les obus tombent partout, dans les jardins, dans la rue et même sur les tas de fumier  » se souvient Roger Rouyr.

Mercredi 6 septembre on entend les mitrailleuses en direction la Cense Sainte Pol (Toulaire aujourd’hui) puis des batteries américaines tirent sur Liverdun depuis Rogéville.

Jeudi 7 septembre vers 8 h du matin les chars américains Sherman (du nom d’un général nordiste de la guerre de sécession) accompagnés de fantassins arrivent de Rosières passent entre Saizerais et le bois de Liverdun et se dirigent vers l’Avant Garde à Pompey. La  » Flying Jeep  » petit avion de reconnaissance que les habitants appellent le  » mouchard « , tourne sans cesse au-dessus des lignes ennemies et dirige l’avancée des troupes américaines. Le passage à découvert entre les bois de Saizerais et de Marbache au lieu dit la Cense dure 3 heures. 3 heures de feux nourris, de tir de mitrailleuses et de fusillades, il y a de nombreuses victimes de part et d’autre. Depuis le larmier d’une maison, avec les jumelles de son père Guy Courtaban observe la scène avec intérêts.

Saizerais libéré !

Le plateau de l’Avant-Garde à Pompey sera atteint le 10 septembre. Liverdun est libéré le 8 septembre, Pompey le 11 septembre.Les libérateurs son passés, cependant, les sentiments de joie et de liberté qui succèdent à la période de la libération laissent chez beaucoup, amertume et chagrin. Un parent, un ami que l’on ne reverra plus. La plaque du souvenir apposé au monument aux morts de Saizerais en témoigne. Les noms d’Adrien Toussaint, Charles Scharff, Eugène Louis, Antoine Courtaban, y sont gravés pour l’éternité.

Voici relaté en quelques mots une période douloureuse de notre histoire mais au combien salutaire pour la liberté. Cependant l’intervention américaine avec toute son armada n’aurait pu se faire si vite sans l’aide de français de l’ombre engagés dans la résistance.

En effet, dès 1941 une résistance active s’organise sur Saizerais. Une poignée de femmes et d’hommes dirigés par M. Toussaint et M. Munch l’instituteur du village, décident de résister à l’envahisseur. Parmi les principaux activistes on trouve les noms de La famille Dietz, Ditonne, Doyotte, Munch, Toussaint et bien d’autres encore.

C’est de Saizerais que sont partis, les premiers mots d’ordre, les premiers  » coups de mains « , les premiers journaux baptisés  » Lorraine « , les premières émissions radio. Toussaint alias Lacroix, chef de groupe du bureau des opérations aériennes se dépense sans compter, il devient agent de liaison pour Londres et agent centralisateur pour la Lorraine. Munch alias Lidun, son complice dans toutes ses actions le met en garde, rien n’y fait, il continue. Le 31 mars 1944 à 7 heures du matin la gestapo l’arrête chez lui à Saizerais et menace de brûler le village. La municipalité rend hommage à sa bravoure le 11 novembre 2002 en baptisant une place du village en son nom.

Le travail de la Résistance.

Voici quelques actions relatées dans le journal de Marche du lieutenant Munch, chef du secteur.

  • 5 août 1944, 2 heures du matin : coupure de la voie ferrée entre Belleville et Dieulouard. Trafic interrompu pendant 12 heures. Participants : André Dietz, Roger Dietz, Munch.
  • 13 août de minuit à 3 heures du matin, creusement d’une tranchée pour découvrir un câble souterrain entre Belleville et Dieulouard. L’équipe essuie l’attaque d’un berger allemand. Travail exténuant, sans résultat. Participants: André Dietz, Roger Dietz, Cremel, Munch.
  • 20 août, 1 heure du matin, même lieu, une équipe de 9 hommes obstrue la route par abatis et coupe la voie ferrée. Participants: André Dietz, Roger Dietz, Doyotte, Pierre Petit, Jean Drouhin, jean Ditonne, Cremel, Munch.
  • 21 août, même lieu, même heure, même travail.
  • 22 août, minuit, forêt de Rosières en Haye, Route obstruée par abatis sous la direction de Creme
  • 27 août, de minuit à 4 heures du matin, à 1 km 5 de Dieulouard, creusement d’une tranchée qui entame la route goudronnée sur 1 m 50, en vue de trouver un câble souterrain. l’opération est rendue très dangereuse par suite d’une intense circulation des colonnes en retraite et de nombreuses patrouilles qui battent la voie ferrée non loin de là. Participants: André Dietz, Roger Dietz, Munch.
  • 2 septembre, le groupe armé partiellement est en alerte et prêt à toute éventualité. Il comprend une trentaine à Saizerais, Rosières, Rogéville sous les ordres directs du chef de secteur, le lieutenant Munch, deux trentaines à Liverdun sous les ordres du capitaine Glassener, deux trentaines à Marbache sous les ordres du sous-lieutenant Geoffroy.Les allemands organisent une solide défense des lisières ouest et nord des bois de Marbache et à l’Avant-Garde de liverdun. Le dépôt d’armes caché dans une caverne située au milieu des défenses allemandes est récupéré en plein jour et transporté sur un chariot par jean Ditonne, les frères Dietz et Munch.Des opérations continues de reconnaissance sont effectuées pour situer exactement les mitrailleuses et pièces d’artillerie ennemies.
  • 3 septembre, la trentaine de Saizerais ne peut rejoindre le maquis de Puvenelle disloqué par l’affaire de Martincourt.Deux sections allemandes montent sur Saizerais. Les américains refusent de nous épauler, les boches garnissent la plaine à l’est de Saizerais jusqu’aux abords immédiats du village. Nos mitrailleuses et nos grenades(25 en tout) sont inefficaces pour une défense sérieuse. Pour la nuit, recul des F.F.I. dans la forêt de Rosières.

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